S'il n'avait créé son monde, certainement serait-il mort dans celui des autres. C'est ce qu'il se dit souvent, lorsque proche du précipice, il repense à l'avant. Dock est un chat des rues. On pense souvent qu'il y a toujours vécu, qu'il a inscrit sa légende à peine sortie du ventre de sa mère et que même à ce moment là, il avait déjà sa taille adulte ainsi que sa prestance digne de l'absurde. Mais ce qu'on pense est souvent faux, surtout quand on parle de Dock. Dock c'est le nom qu'il s'est donné en arrivant dans la ville, et non celui qu'on lui a, non sans fierté, attribué dès la naissance. Dock c'est le nom de sa légende à lui, de celle qu'il a tracé en laissant bien des choses derrière lui. Les chatons dans la rues parlent de lui comme on parle des êtres qui nous dépassent. Ils énumèrent ses louanges de la même façon que l'on clament celles des héros de l'ancien temps.
Malgré tout, Dock semble étiré entre deux temps; passé et présent. On ne sait jamais où traîne son esprit égaré, ni ses yeux bleus semblables à des gouttes d'eau prêtes à chuter. On se perd dans ses prunelles autant que lui se s'égare dans sa tête. Oui c'est ainsi qu'est Dock, le clochard des ruelles sombres. Le bon vivant qui regrette parfois ses faux pas, mais qui sait bien plus que tout,
que l'on paye ses actes un jour ou l'autre;
et que la loi du Talion, n'oublie jamais personne,
aussi clémente soit-elle.
De sa mère, scintillante étoile désormais, Loi du Talion tient son pelage couleur nuage grondant. Il n'a cependant toujours pu profiter que d'une unique vie, et s'est toujours surpris à penser qu'il n'aurait jamais besoin de plus. Il lui laissait donc très volontiers les neuf qu'elle avait, se contentant de se pavaner fièrement, fils du chef sans trop de prétention. Il se considérait comme tout le monde, ce que sa mère approuvait plus que quiconque, elle qui ne s'était jamais pensée spéciale et dont les pas l'avait finalement mené aux plus hautes responsabilités dont on puisse bénéficier dans la forêt. Elle était devenu le chat qui veillaient sur les autres à s'en rendre malade, une femelle généreuse et attentive, désireuse de vivre une vie tranquille à l'écart des problèmes, tout en faisant prospérer le Tonnerre de toute ses forces, et ce malgré avoir eu sa première portée peu après sa prise de pouvoir. Talion n'a jamais cessé de penser qu'elle crèverait pour son clan, la tête aussi haute qu'elle puisse l'être. Il ignore encore que c'est chose faite. Étoile Nuageuse était différente selon lui. Elle rêvait de faire l'impossible sans jamais songer à elle, elle en rêvait pour son clan, pour sa famille, pour tous les chats de la forêt. Elle voulait la paix, et elle est morte dans la guerre, arrachée par les griffes puis rongée par les vers. Talion avait ce soupçon d'admiration pour ce modèle loin d'être commun, il voulait lui ressembler, être aussi droit, mais ses envies filaient vers l'ailleurs, et plus que tout autre il songeait liberté.
Elle était si belle et si cruelle
que Madame causait bien des séquelles.
En sa présence son cœur tambourinait toujours plus, il ne cessait constamment de battre un peu plus fort, désireux d'être écouté, de charmer la demoiselle par cette chamade et ce rythme galopant.
Jamais Loi du Talion n'avait pensé tomber amoureux, mais il avait chuté comme beaucoup d'autres, sous le regard de la belle.
Et cette amour avait débuté ainsi, un jour nouveau avait pointé le bout de son nez. ça avait pris des tournants de film à l'eau de rose, puis tout deux avaient fini consumé, par cet amour trop ardent, et ce brasier trop attisé.
Ils avait fini par en avoir marre et la flamme de passion qui était née après plusieurs lunes de flirt insensé s'était finalement éteinte assez subitement, sans que l'un des deux ne s'en aperçoivent.
Et ils se sont laissés choir, au milieu d'une clairière, tête contre épaule, repensant au bon vieux temps,
avant de décider d'arrêter leur petit jeu.
et ce,
en plein milieu.
En leur tournant le dos, il pensait guérir de tout.
De tout ce qu'ils lui avaient laissé, de toutes leurs coutumes, de toutes leurs règles,
de tous leurs mensonges. Mais son départ sans prévenir n'avait fait que les rendre plus gros.
De lui, depuis tout petit, l'on attendait bien trop de choses. On l'imaginait déjà comme sa mère, tel un leader guidant son peuple.
Mais Loi du Talion n'était point fait du même marbre. Il était taillé dans un bloc de liberté, bien incapable de le quitter. Et il n'avait selon lui, jamais eu les qualités suffisantes pour atteindre ce poste.
Rien qu'en tant que guerrier, il lui arrivait de se sentir comme une tâche d'ancre au milieu d'une feuille, comme du pétrole au milieu de la mer, comme des vagues s’amourachant des oiseaux bien trop haut. Il ne s'était jamais vraiment senti à sa place, jamais considéré comme une pièce essentielle du puzzle mais plus comme un morceau de rechange, un quelque chose de remplaçable, comme un silence trop long, un ronronnement mal placé, une présence un peu floue.
C'est ainsi qu'après réflexion, Loi du Talion s'est décidé, et a passé le tunnel de l'entrée du camp, non sans se retourner. Après des lunes et des lunes d'hésitation, il avait ouvert un nouveau chemin pour sa vie, suivant les conseils avisés d'un chat en qui il avait foi, mais qu'il aurait mieux fait d'ignorer. Il s'était retrouvé au centre d'un stratagème dépréciatif visant à mettre un terme à la vie d'un autre chat du clan, sans même en entendre parler, et très vite considéré comme un félon de la pire espèce, sa traitrise s'était fait connaître à travers les bois, à travers les steppes, les marécages et les montagnes. Partout, excepté dans son nouveau lieu de vie; la ville.
En bas, sous les grandes rues constituées d’asphalte, les boyaux disgracieux des égouts n'étaient en vérité, pas si vide que tout le monde semblait le croire. L'odeur qui s'en dégageait, était des plus écœurantes et restait des jours entier collés aux pelages de ceux qui empruntait cette voie de passage. Au loin, marchant sur la petite bordure et échappant ainsi à l'eau peu ragoutante, se tenait trois silhouettes féline. L'une était grande, imposante et d'un gris sans fond. Les deux autres, bien plus chétive avançaient devant le chat, qui les poussaient du museau, en direction d'un lieu encore méconnu de leurs petits yeux craintifs. La présence rassurante de l'adulte n'y faisait rien, les orphelins chouinaient la peur de tous leurs pores alors qu'ils avançaient dans la petite allée. Il la pleuraient depuis la mort de leur mère, quelques jours avant, tentant de les protéger des griffes de la horde. Elle les avaient quitté pour les laisser vivre,
et ce sacrifice imprégnait leur être,
les rendant incapable d'aller de l'avant.
Le chat gris les avaient retrouvés, et comme un ange sorti de l'obscurité, il leur avait proposé de prendre leur vie en main, ou de rester dans la neige, à s'apitoyer en attendant que la faucheuse ne les prennent eux aussi. Cette formulation peu commune les avaient rendus méfiant, et ils n'avaient toujours pas confiance en l'individu qu'ils présumaient leurs sauveurs. Cela faisait déjà des heures qu'ils marchaient; leurs pattes engourdies leurs criaient d'en finir, de prendre un pause, de rebrousser chemin, d'abandonner cette effrayante travers des bas-fond. Mais la présence du mâle derrière, et de son regard apaisant les amenait à continuer, malgré tout, pensant que rien ne serait pire que ce qui venait d'arriver, et qu'avec lui peut-être ils pourraient vivre en paix.
Un miaulement finit par se faire entendre. encore et encore. ça résonne dans la galerie, bien plus que partout ailleurs. les voix se font avaler par la forme cylindrique puis recracher ensuite, toujours un peu moins distinctement, jusqu'à s'éteindre.Et alors que les deux chatons se glissent entre les barreaux que l'animal leur indique, le petit blanc sent une forte odeur, une forte odeur de chats, tous rassemblé au même endroit. Il ne suffit que d'un instant pour apercevoir les pupilles brillantes des félins se fixer vers les nouveaux arrivants et sentir l'appréhension de Lotus et Citron, les deux petits, envahir l'assemblée. Un moment, le silence se fait alors qu'un chat noir et blanc, nommé Chopin, ne quitte la foule. Ronronnant et une lueur d'amusement brillant dans ses yeux verts, l'animal n'a aucunement l'air d'être inquiet de la présence des deux intrus, qu'il dévisage avec affection avant de d'adresser un regard curieux à l'ombre qui se tient derrière eux. Lotus n'avait jusque alors pas vraiment fait attention à leur hôte, mais celui-ci lui semble maintenant bien plus grand que dans ses souvenirs alors qu'il agite la queue délicatement après être grimpé sur un tuyau d'un unique saut. Un peu plus et il s'envolerait comme les corbeaux, pense l'enfant. Mais celui-ci ne supporterait pas que le nouvel être qui s'est implanté dans sa vie disparaissent aussi soudainement. Il est désormais loin, et les quelques chats qui discutaient dans la bonne humeur à leur arrivée le fixe avec intérêt.
Il prend la parole, d'un miaulement roc et bienveillant, se présentant comme Dock et introduisant sa trouvaille des deux petits nouveaux à l'orée de la forêt. Il explique ensuite, que bien que les deux portent l'odeur de la forêt, ils n'ont pas la force d'y survivre actuellement, et demande aux autres de les accepter dans la famille. Aucun ne semble vouloir contredire Dock. Celui-ci descend et disparait dans un nouveau tunnel.
Chopin finit par les retrouver, leur expliquant qu'ils peuvent partir s'il le souhaite, et que leur petite assemblée n'est pas un clan comme celui dans lequel ils sont chacun nés. Il leur apprend que pour survivre en ville ces temps-ci, les chats ici-présent s'entraident sous l'influence de Dock, et qu'il lui arrive souvent de ramener des nouveaux et de leur proposer de rester autant qu'ils le veulent parmi eux. Un peu plus tard, une jolie chatte rousse les interpellent et leur apprend que son maître pêche le poisson et qu'elle le leur en ramènera s'ils sont dans le besoin. Un tigré leur propose devenir s'abriter quand ils le désirent dans son grenier alors qu'il jette un œil en direction du trou par lequel le grand chat gris à disparu un peu plus tôt, comme avalé par l'obscurité dans les bas-fond des souterrains qu'il connait aussi bien que sa technique de chasse pour oiseaux.
D'où vient-il ? Qui est-il vraiment ? Pourquoi fait-il tout ça pour les autres ? A-t-il ne serait-ce fait une erreur dans sa vie une unique fois ? Pourquoi semble-t-il aussi imposant alors qu'il n'est pas si grand, et pourquoi son coeur semble aussi lourd que la ville entière ? C'est tout un tas de question qui clignote sans cesse dans la tête de Lotus, qui excédé par le fait de ne pas trouver de réponses, se rend sur le terrain de chasse de Chopin, qu'il a appris à apprécier pour sa franchise et son caractère énigmatique. D'après Padmée, il s'agit du meilleur camarade de Dock, et donc de celui qui a le plus d'informations sur le sujet de ses questions. Lotus vient souvent chez lui. Même s'il n'apprécie pas vraiment les environs
, trop lugubre selon lui, il s'agit d'un des endroits les plus tranquilles de la ville, surtout le matin, et il y a apprit à chasser les corbeaux et autres oiseaux cachés dans ce cimetière, grâce à Dock encore une fois. Depuis quelques semaines, ce dernier ne vient plus aux réunions qu'il organisait pour pouvoir satisfaire tous les chats présents et permettre à tous de vivre en harmonie. Beaucoup sont songeurs à ce sujet, certains craignent qu'il ne lui soit arrivé quelques choses, d'autres le pensent malade, et les félins qui se sentaient en sécurité commence à douter. Pourtant la horde a disparu et les beaux jours s'annoncent, mais plus rien ne va depuis que l'élément clef vagabonde sans donner de nouvelles. C'est pour cela qu'il va voir Chopin. Si quelqu'un sait quelque chose, c'est bien lui. Le chat bicolore sort assez rapidement de derrière une tombe, toujours aussi vivace que d'habitude avant de lui adresser une accolade amicale.
"Je savais que tu viendrais" ça semble évidemment être un évidence. Lotus et son frère depuis leur arrivée n'ont cessé de coller Dock ici et là, et ne sont, comme beaucoup avant eux, pas parvenu à percer la couche de nuage qui entoure ce mystérieux matou. Il est donc pour lui naturel que le félin blanc ait finalement fini par lui rendre visite, sans doute convaincu de trouver des réponses.
"Je vais donc, comme tu sembles le vouloir, te conter l'histoire de Dock, ou plutôt devrais-je dire Loi du Talion. Mais avant, sert toi dans ma pile de volatiles, je m'en voudrais de te laisser partir le ventre vide", continu-t-il d'un ton moqueur, ayant entendu les cris de famine de l'estomac de son cadet. S'installant rapidement, il n'attend cependant pas que ce dernier commence son déjeuner pour commencer.
"C'était un chat de la forêt, tout comme toi. Il est arrivé en ville il y a des lunes de cela, à la recherche d'un but, de nouveauté et liberté. Et c'est là même que nous nous sommes rencontré. Quand je le regardais, j'avais l'impression de voir un géant, un chat que je ne pourrais pas égaler. Au début je pensais qu'il faisait parti de cette horde qui sévissait en ville. Mais il m'a aidé, nous a trouvé un refuge chaque nuit, et de quoi manger. Je n'en revenais pas d'avoir trouvé un félin pareil, capable de s'arrêter pour aider son prochain, alors que tout le monde sait qu'en ville, c'est chacun pour sa peau. Et à chaque fois que je lui demandais d'où il venait, il agitait la queue avant de changer de sujet, avec cet air de, ne dit pas des choses que tu regretteras par la suite.
C'est ici même qu'il m'a avoué son histoire, sous l'ombre du chêne. Il a partagé ses doutes, ses peurs, sa hantise, et ce qu'il venait d'apprendre d'un solitaire il y a peu. Il semblerait qu'un de ses amis l'ait fait passé pour un traître alors qu'il était clairement destiné à devenir un grand chat. Lui qui voulait prendre des nouvelles de son clan, se retrouve donc à tourner en rond aux abords de la forêt, sans oser y pénétrer.
Moi même je me demande comment on a pu lui faire ça, alors que c'est lui qui a organisé nos réunions d'entraides deux fois par semaines, lui qui nous a appris bien des choses sans rien attendre en retour.
On le respecte beaucoup dans le quartier, mais lui craint qu'il n'arrive malheur aux autres, si jamais les chats de la forêt venaient à sortir de là pour en découdre. C'est pour ça qu'il a décidé de se faire appeler Dock.
Ici, c'est vraiment un chat exceptionnel,
mais le fait qu'il ait perdu tout contact avec les chats des bois le rend triste, cela se voit, cela se sent à des kilomètres qu'il se demande s'il a fait le bon choix, de les quitter pour plus de liberté...
Hier même je le revoyais après un peu plus de trois semaines sans même voir le bout de son nez. J'étais angoissé, content aussi, à la simple idée de le retrouver. La boule d'angoisse qui s'était formé dans mon estomac s'est subitement volatilisé pour se remplacer par une crainte nouvelle. Je me disais que ça valait le coup d'attendre si longtemps pour le revoir. C'était trop bizarre de le revoir, de le toucher de nouveau, de pouvoir lui parler et d'entendre sa voix. J'étais un pot de colle, ne faisait que le regarder. J'avais envie de m'enrouler autour de lui et de le placer dans mon chez moi, comme le ferait un écureuil avec sa noisette, et qu'il m'appartienne toute sa vie. Mais il avait l'air un peu brisé depuis son retour, comme si une chose précieuse pour lui s'était enfoncé dans son âme sans qu'il ne puisse y avoir accès. Alors moi j'ai peur. J'angoisse qu'il parte, qu'il nous laisse, et que recommence ce cycle incertitude dans lequel je m'étais laissé glissé un moment pour supporter l'idée que ma mère soit morte aussi cruellement. Moi, Lotus, je flippe, je ne supporterais pas qu'il s'en aille encore une fois. Mais il a l'air de vouloir rester pour l'instant, et je serais trop con de lui poser la question. Lui demander s'il va partir pour de bon.
Pour l'instant il reste en ville.
Et c'est amplement suffisant.